LA GOUVERNANCE MUSÉALE, AVEC COMME TÉMOIN… LE PUBLIC !
Confrontés à des mutations idéologiques et à différentes politiques publiques, les musées devraient plus que jamais s’inspirer de l’étymologie latine « gubernare », c’est à dire diriger un navire. Si la gouvernance désigne l'ensemble des mesures, des règles, des organes de décision, d'information et de surveillance qui permettent d'assurer le bon fonctionnement et le contrôle[1] , rarement l’expérience muséale sera neutre sur le plan politique. Si l’idée d’envisager l’action muséologique comme outil de propagande est étroitement lié à son rapport au politique, la gouvernance muséale[2] consiste à équilibrer les rapports entre les principaux intervenants impliqués dans la direction du musée : le conseil d’administration, le directeur ou conservateur et les pourvoyeurs de fonds.
En effet, le musée, « lieu hautement politique[3] », donne à voir, il raconte une histoire. Celle qui « amène à voir » comment les politiciens et les partenariats remodèlent le musée en distribuant de nouvelles valeurs symboliques et matérielles à nos institutions. Conséquemment, les actions posées par les gestionnaires de musées questionnent ici la préservation de l'intégrité de nos institutions muséales, victimes des mutations idéologiques et des contraintes budgétaires.
[7] ARPIN, Roland. (1999). La fonction politique des musées. Canada : Les Éditions Fides. 44 p.
Confrontés à des mutations idéologiques et à différentes politiques publiques, les musées devraient plus que jamais s’inspirer de l’étymologie latine « gubernare », c’est à dire diriger un navire. Si la gouvernance désigne l'ensemble des mesures, des règles, des organes de décision, d'information et de surveillance qui permettent d'assurer le bon fonctionnement et le contrôle[1] , rarement l’expérience muséale sera neutre sur le plan politique. Si l’idée d’envisager l’action muséologique comme outil de propagande est étroitement lié à son rapport au politique, la gouvernance muséale[2] consiste à équilibrer les rapports entre les principaux intervenants impliqués dans la direction du musée : le conseil d’administration, le directeur ou conservateur et les pourvoyeurs de fonds.
En effet, le musée, « lieu hautement politique[3] », donne à voir, il raconte une histoire. Celle qui « amène à voir » comment les politiciens et les partenariats remodèlent le musée en distribuant de nouvelles valeurs symboliques et matérielles à nos institutions. Conséquemment, les actions posées par les gestionnaires de musées questionnent ici la préservation de l'intégrité de nos institutions muséales, victimes des mutations idéologiques et des contraintes budgétaires.
L’histoire des musées comme vitrine prestigieuse du pouvoir[4] contribue
à fixer des représentations collectives. Tel est le cas des musées de
commémoration et des musées nationaux. Le risque non négligeable de devenir des
ballons politiques et des outils marketing est donc réel.
Déjà dans les années 80, le Musée de la Civilisation à Québec, créé en 1988
par le ministère des Affaires culturelles du Parti Québécois, sous couvert du
nationalisme ambiant, avait comme mandat la mise en valeur de l’histoire de la
nation. Et l’année suivante, le Musée canadien des Civilisations avait comme
mandat la célébration du multiculturalisme canadien par la mise en avant la
représentation des communautés culturelles du Canada. Cette « coïncidence »
est soulignée par l’auteur Thierry
Ruddel en ces termes : « cette utilisation, presque simultanée, d’un
pluriel et d’un singulier est pour le moins curieuse sinon équivoque[5]
».
Entre idéologie et action muséologique
Bâillonnées à l’interne et à l’externe, pénurie de revenus
oblige, une série de décisions de certaines de nos institutions muséales semblent
récemment et, de façon inquiétante, conditionnée par la poursuite d'objectifs
plus ou moins formalisés. Si la différence entre la fonction politique des
musées et l’action politique (sous couvert du nom du musée en question, suivez
mon regard[6]) en
disent long sur leurs ambitions, l’énoncé de mission, les expositions permettent
d’identifier les idéologies. C’est aussi le cas des discours d’exposition et
des partenariats parfois controversés qui nous amènent à lire entre les lignes des
choix qui ne sont pas neutres. Pour Roland Arpin, le musée se doit de faire la
différence entre la fonction politique du musée et l’action politique : le
musée comme acteur social a pour mission de diffuser, d’informer, d’éduquer, de
conserver... mais pas la voie politique[7].
Après une mémoire contre l’autre[8], un
chèque pour la « préservation[9] »
de l’environnement, face à quels enjeux se situe un conseil d’administration
censé préserver l’intégrité de l’institution, au nom de son propre légitimé ?
Si les choix guidés financièrement et politiquement sont un
critère définitoire dominant de changement d’identité d’un musée, ils s’avèrent
aussi symptomatiques d’un virage non anodin qui propose une grille de lecture
sur fond de bruissement de signe de « piasses ». Et bien entendu, cela
n’augure rien de bon : prémices d’un discours d’exposition sujet à
d’éventuels trous de mémoire et/ou éloge des sables bitumineux aux contenus
scientifiques questionnables. Conséquemment la gouvernance muséale permet une
distanciation de la proximité entre l’État, l’institution muséale et l’influence du lobby financier.
Et le public dans tout cela ?
La portée politique des expositions et de l’institution
muséale en elle-même n’est plus à démontrer : le musée est un espace de
communication. Par la mise en scène : dispositifs matériels d’exposition (choix
de la profusion ou de l’épure), la mise en espace du récit (la place de
l’écrit, de l’iconographie), la mise en discours (ressources audio-visuelles,
objets, expression artistique…) jusqu’aux différents procédés d’immersion, qui
sollicitent moult leviers émotionnels (couple émotion / information), le visiteur n’en ressort pas indemne. Le musée
comme garde-fou contribuant à la prise de conscience, à l’ouverture d’esprit et
la connaissance.
Susceptible d’instrumentalisation, le monnayage de la
culture engendre des professionnels contraints à viser l’accroissement de
revenus et de fréquentation à tout prix. Une série de comportements discutables
et qui met en doute le souci et le respect des musées pour leurs publics, soulevant
plus que jamais des questions d’ordre déontologique. À l’ère de la
globalisation des exigences d’un public avisé, adepte des medias sociaux, et au
cœur de la communication de nos institutions, il s’érige désormais un autre aspect
du balancier aux injonctions étatiques, des sponsors et des partenaires privés.
Les défis contemporains d’une option managériale accès sur
le public sont largement soulignés par le juriste et administrateur de musées nord-américain
Stephen E. Weil pour qui le triomphe d’une muséologie relationnelle, appuyée
sur les valeurs du public[10]
représente un actif non négligeable.
L’inévitable rencontre réussie avec ce public nécessite tant
soit peu un débat sur l’éthique, la déontologie et la gouvernance muséale, avec
comme témoin, ledit public. Celui-là -même à qui il incombe de décider si les
pétrolières peuvent s’acheter le musée (Le Devoir – 1er mai 2014 :
« Commandite au Musée de l’histoire,
le lobby du pétrole s’achète un accès aux décideurs[11]
»)…
Et si ce dernier mérite une visite !
[1] Investissement Socialement Responsable. (2012). Gouvernance. En ligne. [http://www.investissement-socialement-responsable.org/lexique-isr.html].
[2] MALARO, Marie. (1994). Museum
Governance : Mission, Ethics, Policy. Royaume-Uni : Smithsonian Books. 192p.
[3] MARTINACHE, Igor. (2008). « Les musées, lieux
hautement politiques ». La Vie des idées. En ligne. [http://www.laviedesidees.fr/Les-musees-lieux-hautement.html].
[4] COHEN, Anouk. (2007). « Quelles histoires pour un musée
de l’immigration à Paris ! ». Ethnologie
française.
Vol.37. No.3. pp. 401-408.
[5] RUDDEL,
Thierry. (2005). Musées
« civilisants » du Québec et du Canada : les enjeux politiques
et publics. Persée. p.1. En ligne. [http://www.persee.fr/articleAsPDF/pumus_1766-2923_2005_num_6_1_1378/article_pumus_1766-2923_2005_num_6_1_1378.pdf].
[6] Radio-Canada.
(2012). Le Musée canadien des
civilisations change de nom et de vocation. En ligne. http://ici.radio-canada.ca/regions/ottawa/2012/10/16/004-musee-civilisation-histoire.shtml.
[7] ARPIN, Roland. (1999). La fonction politique des musées. Canada : Les Éditions Fides. 44 p.
[8] CASSIVI, Marc. (2012). « Le musée de
la vision étriquée ». La Presse. En
ligne. [http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/marc-cassivi/201210/17/01-4584151-le-musee-de-la-vision-etriquee.php].
[9] ORFALI, Philippe. (2013). « L'industrie du pétrole
s'invite au Musée des civilisations ». La
Presse. En ligne. [http://www.lapresse.ca/le-droit/arts-et-spectacles/201311/25/01-4714399-lindustrie-du-petrole-sinvite-au-musee-des-civilisations.php].
[10] WEIL, Stephen. (1999). « From being about something to being for somebody :
The ongoing transformation of the American Museum ». Daedalus. Vol.128. No. 3. pp. 229-258.
[11] ORFALI, Philippe. (2014). Commandite au Musée de l’histoire – Le lobby du pétrole s’achète un
accès aux décideurs. Le Devoir. En ligne. [http://www.ledevoir.com/politique/canada/407059/commanditeaumus].
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